mercredi 12 octobre 2011

Un débat passionné -- les livres d'histoire, cette fois-ci

L'histoire du Québec déchaîne les passions ces jours-ci.... Un suite au débat, cette fois publiée sur Cyberpresse aujourd'hui.

Livres d'histoire: les Québécois méritent mieux

Quand un historien décide de faire de la... (PATRICK WOODBURY, LeDroit)
Quand un historien décide de faire de la nation le sujet de son travail, il est pratiquement certain de ne pas obtenir de subvention, dit Frédéric Bastien. Un historien de l'université Bishop's, l'un des deux seuls qui travaillent sur les rébellions de 1837-1838, a vu ses demandes de subvention systématiquement rejetées année après année pour la rédaction d'un livre sur le sujet.
PATRICK WOODBURY, LeDroit
 Frédéric Bastien
L'auteur est professeur d'histoire au collège Dawson.
Le 3 octobre, la Coalition pour l'histoire publiait une étude sur l'enseignement et la recherche en histoire au Québec, dénonçant le peu de place qu'occupent les grands personnages et les grands événements politiques qui ont marqué notre vie collective.
Le courant qui domine aujourd'hui est celui de l'histoire sociale, qui s'intéresse à des sujets dont le cadre de référence n'est pas la nation, que ce soit les pauvres ou les marginaux, l'immigrant, etc.
Ce constat a suscité de la réprobation au sein de la communauté historienne. L'une des critiques entendues consiste à dire que la catégorisation employée par les auteurs de l'étude, histoire sociale versus histoire nationale, ne tient pas la route. En fait, ces catégories seraient perméables et les historiens du social font aussi de l'histoire politique. Cet argument, je l'ai entendu il y a quelque temps déjà par un collègue travaillant sur l'histoire des égouts. Lui aussi, disait-il, faisait de l'histoire politique. Pourquoi? Parce ce que la question des égouts à travers les âges touchait les normes de santé publique, suscitait des conflits politiques et par conséquent s'inscrivait aussi dans le cadre de l'histoire politique.
Peut-être. Mais convenons tout de même qu'il s'agit d'un thème très pointu et qu'il ne permet en rien aux Québécois de comprendre leur histoire comme groupe, ce qui n'est pas le cas si on écrit une biographie de Pierre Trudeau, Adélard Godbout ou René Lévesque. L'étude de ces personnages permet de mieux comprendre le Québec dans son ensemble. Qu'il soit fédéraliste ou souverainiste, l'historien qui se livre à un tel travail inscrit son travail dans un cadre national.
Malheureusement, cette approche est devenue très rare chez les historiens universitaires. Ce n'est pas un hasard si aucun d'entre eux n'écrit de biographie politique, lesquelles sont désormais rédigées surtout par des journalistes. Même s'ils ont fait dans l'ensemble un bon travail, ces derniers n'ont pas de subvention de recherche, manquent souvent de temps pour mener à bien leur projet d'écriture et n'ont pas une formation de chercheur en histoire.
Quand un historien décide tout de même de faire de la nation le sujet de son travail, il est pratiquement certain de ne pas obtenir de subvention. C'est ainsi qu'un historien de l'université Bishop's, l'un des deux seuls qui travaillent sur les rébellions de 1837-1838, a vu ses demandes de subvention systématiquement rejetées année après année pour la rédaction d'un livre sur le sujet.
Pendant ce temps-là nos organismes subventionnaires donnent 128 000$ de fonds publics à un groupe de trois historiens de l'université de Sherbrooke et Montréal pour qu'ils étudient «la construction de la masculinité à travers l'observation des normes et déviances masculines dans les collèges classiques au Québec» entre 1800 et 1960.
Malgré l'étroitesse de tels sujets, les tenants de l'histoire sociale se targuent d'écrire une histoire qui n'est pas celle des élites, souvent des hommes blancs, et affirment donner la parole aux ouvriers, aux minorités, aux femmes ou aux couches populaires.
Le problème est justement que le peuple ne veut pas de cette histoire. Selon les chiffres de l'historien Jack Granatstein, la vente de livres d'histoire écrits par les universitaires tourne autour de 100 à 200 au Québec, contrairement par exemple aux milliers de copies vendues par les biographies politiques. Ajoutons que les monographies universitaires ne seraient presque jamais publiées sans les subventions à la publication qui leur sont octroyées.
L'histoire fait partie de la culture et n'a d'autre utilité que de rendre les citoyens meilleurs parce qu'ils connaissent leur passé. Elle doit donc être diffusée au sein du plus grand nombre, exactement le contraire de ce que fait l'histoire académique. Franchement, les Québécois méritent plus pour leur argent.

Et le débat se poursuit sur l'enseignement de l'histoire du Québec à l'université...

Texte d'opinion publié dans Le Devoir du mercredi 12-10-2011

Libre opinion - Je persiste et signe !

Éric Bédard - Historien et professeur à la TELUQ  12 octobre 2011  Éducation
Selon le professeur Donald Fyson, dont le commentaire fut publié en cette tribune la semaine dernière, notre étude «L'histoire nationale négligée», commandée par la Fondation Lionel-Groulx, rendue publique le 3 octobre dernier, ne serait pas «un reflet objectif de l'état de l'histoire nationale dans nos universités québécoises». Ne s'appuyant que sur son propre cas, mon collègue s'empresse de qualifier la vision qui traverse cette étude de «polémiste».

Or, je persiste et signe! Nous ne prétendons pas que l'histoire nationale du Québec est disparue, mais qu'elle est bel et bien «négligée» par les professeurs, malgré l'intérêt persistant des étudiants. Je sais bien que mon estimé collègue a produit des articles sur des aspects politiques de la Conquête, mais je continue de croire que, dans l'ensemble, «les historiens universitaires intéressés par la question politico-nationale au point d'y consacrer des monographies ou des articles sont davantage l'exception que la règle».

Les lecteurs du Devoir qui en doutent pourront consulter, à la page 23, la liste des chaires du Canada octroyées à des historiens du Québec. Ils pourront aussi consulter les pages 25 et 26 de notre étude qui dresse la liste des thèmes de recherche sur lesquels travaillent actuellement les professeurs d'histoire d'un grand département montréalais. Ils trouveront là des données bien «objectives»!

Mais si l'histoire nationale du Québec se porte bien, peut-il m'expliquer pourquoi il faut lire David Hackett Fischer ou Jonathan R. Dull, deux professeurs américains, pour obtenir les synthèses académiques les plus à jour sur Champlain ou la guerre de Sept Ans? Peut-il m'expliquer pourquoi il faut aller à McGill ou à Bishop pour trouver des spécialistes reconnus des rébellions de 1837-1838?

Si l'histoire nationale du Québec se porte si bien, peut-il m'expliquer aussi pourquoi on ne trouve, dans nos départements d'histoire francophones, aucun spécialiste de l'histoire constitutionnelle qui aurait publié des ouvrages significatifs sur la Confédération de 1867 ou le rapatriement constitutionnel de 1982? Pourquoi, non plus, ne trouvons-nous aucun spécialiste reconnu de l'histoire militaire ou diplomatique du Québec ou du Canada dans nos départements?

Peut-il enfin m'expliquer pourquoi, même si je sais le genre regardé de haut par mes collègues, les dernières grandes biographies de Louis-Joseph Papineau, d'Honoré Mercier ou d'Henri Bourassa ont été écrites par Robert Rumilly? Pourquoi les Jean Lesage, René Lévesque ou Pierre Elliott Trudeau n'ont-ils intéressé sérieusement aucun historien québécois?

Pour expliquer cette négligence de l'histoire nationale, nous avons proposé un cadre d'analyse que rejette mon collègue. Fort bien! Mais les données de base restent les mêmes. Il est vrai que l'histoire nationale pour laquelle nous plaidons est probablement plus traditionnelle que l'histoire culturelle dernier cri à laquelle, faut-il le préciser, mes collègues ont parfaitement le droit de se consacrer. Cela dit, cette histoire politico-nationale devrait aussi avoir sa place à l'université.

Comme nous ne voyons pas le jour où cette histoire aura une vraie place dans nos départements et que nous sommes attachés au principe d'autonomie universitaire, nous avons de bonne foi proposé de contourner le problème en créant une 5e section à l'Institut national de recherche scientifique qui serait spécifiquement consacrée à l'histoire politique du phénomène national au Québec.

Cette proposition, nous nous en réjouissons, a été reprise la semaine dernière par le Parti québécois et Québec solidaire. S'il y a d'autres moyens constructifs de remédier à cette négligence de notre histoire nationale, nous restons bien sûr ouverts.

mardi 11 octobre 2011

LOGO des Prix Antonin-Dupont:: et le gagnant est...

Alors, voilà! Le vote est maintenant terminé. Les 26 participants (membres de la famille et organisateurs du concours) ont voté. Douze votes sont allés au logo numéro 1, talonné de près par le logo no 4 qui a récolté 8 votes. Les autres étant tous dans des catégories marginales...

Le grand gagnant est donc le logo no 1 qui sera légèrement modifié pour inclure également quelques particularités du logo no 4 et autres petits changements suggérés par nos partenaires.

Voici le logo no 1:

Voici le logo no 4::
 Un grand merci à l'artiste de la famille, Benjamin Dupont, fils de Luc, étudiant en quatrième secondaire au Collège Notre-Dame qui a réalisé l'esquisse à partir de laquelle les graphistes Abdou Zirat et Aziz Sebaoui, de la firme Raison 2+ ont concocté les cinq propositions de logo, Nous les remercions vivement!

dimanche 9 octobre 2011

L'enseignement de l'histoire dans les universités, suite

Un autre point de vue pour poursuivre le débat...

Libre opinion - Une vision polémiste sur l'histoire enseignée

Donald Fyson - Université Laval  7 octobre 2011  Éducation
J'ai trouvé assez ironique de lire cette semaine un article du Devoir intitulé «L'histoire du Québec délaissée par les universités», immédiatement avant de donner un cours magistral de première année en histoire nationale portant sur la chute militaire de la Nouvelle-France. La semaine prochaine, je traiterai de la question suivante: «La Conquête: un désastre?» Me référant donc à l'étude de l'historien Éric Bédard dévoilée cette semaine et intitulée «L'histoire nationale négligée», j'ai pu constater à quel point elle présente une vision très orientée de l'enseignement de l'histoire nationale dans les universités québécoises.

Éric Bédard a le mérite d'avoir lancé un débat tout à fait pertinent et je souscris à plusieurs des constats de son rapport, notamment en ce qui concerne la formation des futurs enseignants. Toutefois, ce rapport se situe davantage dans le champ de la polémique et n'est pas un reflet objectif de l'état de l'histoire nationale dans nos universités québécoises. Entre autres, la prémisse voulant que l'histoire sociale et culturelle et l'histoire nationale forment des catégories mutuellement exclusives ne tient pas la route et fausse les analyses statistiques.

Prenons un cas que je connais assez bien: le mien. Je me trouve classé parmi les historiens du culturel et du social et donc non pas parmi ceux de l'histoire nationale. Pourtant, mes écrits les plus récents portent en bonne partie sur cet événement capital qu'est la Conquête, y compris ses dimensions nationales (rapports entre francophones et anglophones), constitutionnelles (droits des francophones, y compris le serment du Test) et politiques (exercice du pouvoir au sein de l'État colonial).

J'ai même dirigé un doctorat sur les rapports entre militaires et civils à Québec entre 1759 et 1838, en dépit du fait que, selon le rapport, un étudiant québécois qui souhaiterait entreprendre un doctorat sur les dimensions militaires de la Conquête dans une université francophone serait incapable de se trouver un directeur qualifié... Par ailleurs, depuis 1996, j'ai personnellement offert au moins six cours différents au Département d'histoire de l'Université Laval qui portent en bonne partie sur «la dimension nationale de notre histoire», même dans le sens trop étroit adopté par le rapport.

Je crois aussi que je serais tout à fait apte à contribuer à un centre de recherche portant sur «l'histoire politique du phénomène national au Québec», malgré mon approche sociale et culturelle. Cependant, j'ai déjà ma place comme codirecteur du Centre interuniversitaire d'études québécoises, le plus important regroupement de recherche financé d'historiens du Québec (que le rapport ne mentionne pas), pour qui l'histoire du Québec, y compris dans sa dimension nationale, demeure absolument centrale.

Je ne suis qu'un cas parmi tant d'autres. Toutefois, si l'étude déforme à ce point mon profil, que dire de ses conclusions plus générales, basées sur l'analyse d'un ensemble de tels cas individuels? Dans ce contexte, il est plus qu'insultant de se faire dire que «l'histoire du Québec s'en va à vau-l'eau», comme le conclut en éditorial Le Devoir, du moins au sein de la communauté des chercheurs universitaires.

***

Donald Fyson - Université Laval

jeudi 6 octobre 2011

Un logo pour les Prix en préparation!

La famille procède actuellement au choix du logo des Prix Antonin-Dupont. D'ici quelques jours, nous devrions être fixés. Rappelons que Benjamin Dupont, fils de Luc, lui-même fils d'Antonin, est très doué pour le dessin. Nous lui avons donc demandé de dessiner une esquisse de logo pour les Prix (PAD). À la suite de quoi, nos amis Abdou Zirat et Aziz Sebaoui, de la firme graphique Raison 2+ ont proposé à la famille "Cinq variations sur un même thème"! Le choix sera connu d'ici la semaine prochaine. Nous vous présenterons donc le logo dès qu'il sera choisi et finalisé.

mercredi 5 octobre 2011

Notre histoire: ignorance collective!

Éditorial très intéressant écrit par Marie-Andrée Chouinard, du journal Le Devoir, aujourd'hui 2011-10-05.
 

Enseignement de l'histoire - Ignorance collective

Marie-Andrée Chouinard   5 octobre 2011  Éducation
Cherche désespérément histoire du Québec. Ce pourrait facilement être l'intitulé du magistral travail de recension qu'effectue depuis quelques années la Coalition pour l'histoire. Depuis sa création en 2009, cette coalition s'évertue à démontrer que dans le champ de l'enseignement de notre propre histoire, du primaire à l'université, la récolte est scandaleusement mince.

Chacun des pans de ses enquêtes fouillées lève le voile sur un effritement inquiétant de l'histoire nationale enseignée aux élèves et étudiants du Québec. Après avoir montré le vide abyssal du collégial et l'inquiétant tournant du secondaire, l'analyse se tourne vers l'université, montant d'un cran l'inquiétude collective: nos futurs maîtres d'histoire enseignent à partir d'une matière beaucoup trop mince, les facultés se dégarnissent peu à peu d'experts en histoire nationale du Québec, les recherches négligent ce champ capital. Bref, l'histoire du Québec s'en va à vau-l'eau!

On se souvient l'émoi qu'avait causé au printemps un sondage mené pour le compte de cette coalition et où 94 % des répondants avaient été incapables de nommer Chauveau comme tout premier d'une série de premiers ministres du Québec. Bientôt, dans les chaumières du Québec, aucune étincelle à l'évocation de la Crise d'octobre, du rapport Durham? Et Louis-Joseph Papineau? Sans rappel utile de la rébellion des Patriotes, qui honorera son passage?

Ces trous de mémoire s'expliqueront. Les facultés d'enseignement offrent en effet au compte-gouttes l'histoire du Québec aux futurs maîtres; certains n'auront eu que deux cours pour asseoir la transmission future de cette discipline aux élèves du secondaire. Paradoxalement, la réforme de l'éducation a pourtant doublé le nombre d'heures d'enseignement de l'histoire. L'histoire fut donc remise au centre du parcours de l'élève, mais obsédés que nous devenions par les atours de la mondialisation et l'attrait de l'actualité, on négligea de toute évidence de la substance essentielle.

Était-ce mieux avant? Jouer les nostalgiques n'est pas toujours judicieux. Qui blâmer, au juste? Y a-t-il véritablement un lobby organisé derrière cet effacement de l'histoire nationale du Québec, comme les auteurs de l'étude «Enseignement et recherche universitaires au Québec: l'histoire nationale négligée» le sous-entendent? On a choisi de pointer les habituels démons: la réforme de l'éducation et l'omniprésence de l'histoire sociale, voilà les coupables de ce glissement tendancieux qui risque de nous faire tous amnésiques.

Il s'agit là d'une lecture militante — bien que les auteurs fassent eux-mêmes un appel à un enseignement de l'histoire protégé de l'obscurcissement des «préoccupations militantes»... Mais les faits parlent d'eux-mêmes et suffisent pour alarmer. L'enseignement de l'histoire contourne des pans essentiels de ce que nous sommes, contribuant ainsi à vider de sa substance fondatrice un peuple.

mardi 4 octobre 2011

Les enseignants en histoire seraient-ils mal formés?

Le Devoir et La Presse rapporte dans leur édition d'aujourd'hui (4 octobre 2011) que les enseignants d'histoire seraient mal formés à l'université, selon une étude de la Fondation Lionel-Groulx. Antonin avait raison: il y a encore de l'amélioration à apporter. Espérons que les Prix y contribueront quelque peu!

L'histoire du Québec délaissée par les universités

Bouchra Ouatik   4 octobre 2011  Éducation
Le Québec ne se souvient pas assez de son histoire, selon une étude publiée hier par la Fondation Lionel-Groulx et la Coalition pour l'histoire du Québec. «On est un des pays qui enseignent le moins leur histoire!», clame l'historien et porte-parole de la Coalition pour l'histoire du Québec, Robert Comeau.

Après avoir critiqué, l'an dernier, la qualité de l'enseignement de l'histoire au collégial et au secondaire, les deux organismes se sont maintenant penchés sur la place de l'histoire du Québec dans le milieu universitaire.

Selon M. Comeau et ses collègues, les futurs enseignants d'histoire manquent de formation. «La majorité n'ont que deux à quatre cours à l'université sur l'histoire du Québec. C'est insuffisant!», déclare M. Comeau. L'étude mentionne aussi que 28 % des enseignants d'histoire au secondaire n'ont pas de formation universitaire dans cette discipline. Les auteurs de l'étude réclament un minimum de vingt cours d'histoire, dont la moitié couvrirait le Québec et le Canada, pour tous les futurs enseignants de cette matière au secondaire. Quant à ceux qui l'enseigneront au niveau collégial, les auteurs exigent qu'ils aient tous une maîtrise spécialisée dans le domaine.

M. Comeau souligne aussi que l'histoire culturelle et sociale — telle que l'histoire des femmes, de la consommation, de l'environnement — a de plus en plus la cote dans les universités, au détriment de l'histoire politique et économique. L'étude mentionne, par exemple, que seule l'Université du Québec à Montréal offre un cours spécifique sur la Révolution tranquille. Selon M. Comeau, les chaires de recherche universitaires en histoire sont rarement octroyées à des professeurs qui s'intéressent à l'histoire nationale. «Au Québec, nous n'avons aucun spécialiste sur la bataille des plaines d'Abraham», affirme-t-il. Les auteurs de l'étude souhaitent que le gouvernement du Québec crée un nouveau centre à l'Institut national de recherche scientifique, qui serait consacré exclusivement à «l'histoire politique du phénomène national au Québec.»

Le porte-parole de la Coalition pour l'histoire du Québec maintient que la faible place accordée à l'histoire nationale dans les universités se répercute sur l'enseignement aux niveaux primaire et secondaire. «Les enseignants ne sont pas préparés à répondre à des questions sur les référendums au Québec, par exemple, affirme M. Comeau. Les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas équipés pour comprendre l'actualité. On ne leur transmet plus assez de connaissances.»

dimanche 2 octobre 2011

Le paradoxe québécois: le patrimoine, parent pauvre d'une culture portée aux nues

Excellent article qui concerne l'histoire du Québec, écrit par Isabelle Paré, et publié dans Le Devoir du samedi 1er octobre 2011.

Le paradoxe québécois

Le patrimoine, parent pauvre d'une culture portée aux nues

L’apparente indifférence des divers gouvernements à l’égard du sort de certaines œuvres patrimoniales n’est-elle que l’épiphénomène d’un malaise plus profond qui touche l’ensemble de la société?<br />
Photo : Christian Tiffet Le Devoir
L’apparente indifférence des divers gouvernements à l’égard du sort de certaines œuvres patrimoniales n’est-elle que l’épiphénomène d’un malaise plus profond qui touche l’ensemble de la société?
Il y a les sujets chauds de l'actualité, et il y a les grandes questions qui perdurent au fil des jours, des mois, des années. Pour donner de la perspective à ces questions qui reviennent de façon récurrente, Le Devoir publie «Les grands débats», une série mensuelle que signent à tour de rôle les journalistes de la rédaction.

Existe-t-il un paradoxe québécois en matière de patrimoine comme il existe un paradoxe français pour la santé? Ici, la culture est reine, symbole de fierté, d'identité nationale, un véritable moteur économique. Mais la préservation de ses traces dans l'histoire est loin de soulever les foules ou d'émouvoir les gouvernements. Au pays des Cartier, Champlain et autres défricheurs de continent, les Québécois entretiennent-ils un rapport paradoxal à l'égard de leur patrimoine?

Malgré l'adoption de lois visant à protéger les biens culturels, la sauvegarde du patrimoine se gère encore fréquemment à coups de crises au Québec. Maison Van Horne, Montreal Hunt Club, Hotel Queen: c'est trop souvent quand se dressent les pics des démolisseurs qu'un semblant d'intérêt pour les symboles marquants du passé se fait jour.

Trop peu, trop tard. Combien de corniches effondrées, d'oeuvres mises en vente et de monuments malmenés avant que ne s'enclenche une réaction dans les officines gouvernementales.

Or, l'apparente indifférence des divers gouvernements à l'égard du sort de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus et de son orgue, des oeuvres du calvaire d'Oka, d'ensembles conventuels à Québec, n'est-elle que l'épiphénomène d'un malaise plus profond qui touche l'ensemble de la société?

Dans un essai récent, les historiens Jocelyn Létourneau et David Northrup, de l'Université de Toronto, mettaient le doigt sur une réalité qui n'est peut-être pas sans lien avec les déboires vécus au Québec dans le champ du patrimoine historique et religieux.

Au moyen d'une enquête menée en 2007 et 2008 auprès de 3000 Canadiens, les deux chercheurs ont découvert que les Québécois — surtout francophones — sont les Canadiens qui montrent le moins d'intérêt envers les choses du passé.

«Les Franco-Québécois sont plus prompts à faire preuve de désintérêt envers le passé qu'ils ne sont allègres à exprimer leur enthousiasme envers l'histoire. Pour le dire crûment, c'est en bonne partie dans l'indifférence des Québécois que se loge la différence québécoise!», peut-on lire dans Québécois et Canadiens face au passé - Similitudes et dissemblances, un article publié en mars dernier dans la Canadian Historical Review.

Ici, on visite moins de musées, de sites historiques, et l'on s'intéresse moins aux arbres généalogiques, aux films, aux livres et documents liés à l'histoire, que dans le reste du Canada. Pourquoi?

Selon le sénateur Serge Joyal, fervent défenseur du patrimoine et mordu d'histoire, le rapport ambigu au passé et les ratés vécus en matière de patrimoine découlent de facteurs beaucoup plus profonds que les seuls contextes financier ou politique: «Au Québec, le passé est assimilé à l'omnipotence de l'Église et tout ce qui est rattaché de près ou de loin à l'Église a des odeurs de répulsion. Ce passé est associé à des souvenirs aliénants et douloureux. Pour plusieurs générations, même le passé familial a été synonyme de privations et de contraintes.»

Or, juge le sénateur, l'intérêt d'une société à l'égard de son patrimoine se construit souvent en fonction de l'importance accordée à ses propres mythes fondateurs. Si Napoléon continue d'être cher aux Français et Abraham Lincoln un modèle encore cité par nombre d'Américains, les Champlain et Cartier sont plus associés «à des noms d'autoroutes, d'hôtels ou de centres commerciaux» qu'à des héros nationaux, donne-t-il en exemple.

«Aujourd'hui, parfois, c'est comme si le Québec était né à la Révolution tranquille!», déplore le collectionneur et fondateur du Musée de Joliette.

«Plusieurs personnages d'envergure dans notre histoire n'ont jamais atteint le statut de héros national. Or, les valeurs des sociétés sont largement tributaires des mythes qu'elles se créent à travers leur propre histoire. Quand il n'y pas de figures de proue pour incarner une mythologie collective, il n'est pas étonnant que des monuments soient démolis dans l'indifférence générale», tranche Serge Joyal.

Un capitaine dans le bateau

À l'inverse du Québec, la France vit aujourd'hui grassement des mythes qui ont nourri son histoire, que ce soit Louis XVI et Versailles, les châteaux de la Loire ou la Bastille. Marqué par les divisions sur la question nationale, le Québec réunit certes une brochette de grands personnages, mais qui sont aimés par les uns et conspués par les autres. «Louis XIV demeure une figure forte pour tous les citoyens français, même si tous ne sont pas monarchistes», pense le sénateur libéral.

Au-delà de la psyché collective, les lois dont se dote l'État ne sont pas garantes de l'importance accordée par une population à son propre patrimoine culturel. «Il doit y avoir une capitainerie dans le bateau», estime Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal.

La désaffection d'une partie des Québécois et de plusieurs élus étonne d'autant plus qu'au plan légal, le Québec se situe à l'avant-garde, avec une des rares législations (projet de loi 82) intégrant le patrimoine au développement durable.

Le projet de loi en voie d'adoption est aussi un des seuls à assujettir la notion de patrimoine immatériel à la protection de l'État.

Mais la loi seule ne suffit pas, parfois. «Intégrer le patrimoine, c'est quelque chose qui demande des actions à long terme; or, les ministres changent et le dossier du patrimoine se retrouve souvent en bas de la pile, oublié», ajoute Dinu Bumbaru.

Pour sa part, le sénateur Joyal est beaucoup plus sévère à l'égard de l'impact réel des outils légaux, même les plus novateurs, en matière de patrimoine. «La loi peut devenir une sorte de somnifère!, dit-il d'emblée. Elle nous laisse croire que l'État va régler le problème, mais ça ne peut pas pallier l'absence d'intérêt.»

Christina Cameron, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti de l'École d'architecture et experte de la Convention de l'UNESCO sur le patrimoine culturel, a parcouru le globe pour étudier des centaines de sites naturels et culturels en danger.

À son avis, la spécificité du patrimoine culturel le rend d'autant plus difficile à protéger: «Il est bien plus facile de rallier les gens autour de la préservation d'un espace vert, qui est quelque chose de très concret et d'universel, qu'autour d'un patrimoine culturel qui est souvent rattaché à un lieu et à certaines valeurs locales.»

L'État comme levier

Si l'on doit jauger l'importance accordée au patrimoine à l'aune des budgets et des gestes posés, l'État québécois aurait de grandes leçons à tirer de ce qui se fait ailleurs sur la planète, même de pays qui ne se distinguent pas particulièrement par leur interventionnisme.

Aux États-Unis, par exemple, le patrimoine est un des éléments intégrés à la politique étrangère. «Chacune des ambassades dispose d'un fonds pour le patrimoine», assure Dinu Bumbaru.

En France, le plan de relance déployé par Nicolas Sarkozy pour remettre l'économie sur les rails après la crise de 2008 s'articulait autour de quatre axes majeurs: les travaux d'infrastructures, la sécurité nationale, la recherche et l'enseignement et... le patrimoine.

«Pour les Français, c'est un moteur de l'économie!», selon M. Bumbaru. Idem pour l'Allemagne, qui a investi 200 millions d'euros la même année dans les sites protégés de son patrimoine.

Au Japon, une loi sur l'aide aux pays étrangers oblige l'État à soutenir la protection culturelle du patrimoine d'autres nations, de sorte que le gouvernement nippon dispose d'une sorte d'ACDI du patrimoine.

En matière de fiscalité, il reste tout un travail à faire pour favoriser et soutenir l'achat de bâtiments patrimoniaux. Dès les années 60, la France s'est dotée de la Loi Malraux permettant aux propriétaires de bâtiments anciens de déduire une grande partie, sinon la totalité des dépenses liées à la restauration des vieilles pierres.

Aux États-Unis, des milliards de dollars sont injectés dans des mesures fiscales positives offertes aux propriétaires de biens classés. «Notre fiscalité place plutôt le patrimoine dans la liste des nuisances», croit Dinu Bumbaru.

Dans ce contexte, les propriétaires sont parfois les premiers à s'inquiéter du classement de leurs biens immobiliers, désormais soumis à de multiples contraintes et à d'onéreuses hausses de taxes. Lui aussi inquiet à l'effet d'avoir à voler au secours d'innombrables propriétaires, l'État trie sur le volet les immeubles à classer.

En Allemagne, par contre, le patrimoine est perçu comme un moteur de l'économie puisqu'un million de lieux et de bâtiments figurent au registre national. Jusqu'à 8 ou 10 % du patrimoine bâti et des espaces naturels possède un statut particulier en Grande-Bretagne. «Ici, même la Basilique Notre-Dame n'est pas classée. Il y a tout de même un minimum à faire», affirme le directeur des politiques à Héritage Montréal.

Des pistes de réflexion

Pour Christina Cameron et Dinu Bumbaru, l'approche légaliste actuelle, qui délègue au seul ministre le pouvoir de classer ou non un bâtiment, a peut-être atteint ses limites.

«Le classement dépend d'un geste ministériel. Or la science infuse, les élus ne l'ont pas toujours, croit M. Bumbaru. Il est temps de séparer la science de l'État et de constituer un registre national élaboré par des experts. Bien sûr, l'État décidera ensuite des fonds à investir, car c'est à lui que revient de décider comment dépenser l'argent des contribuables.»

Christina Cameron juge aussi que la judiciarisation extrême des processus de protection a produit des effets pervers. «Des murs se sont créés entre les défenseurs du patrimoine et les développeurs, pense-t-elle. Les conflits aboutissent devant les instances administratives. Je crois que cette approche a failli. Il est peut-être temps de viser une approche de médiation, une participation plus communautaire au développement des territoires.»